Des pièces montées ressemblant à des bâtiments antiques, à des monuments extraordinaires ou à des bâtiments aux mille influences : Marie-Antoine Carême évoque, dans l’esprit des gourmands du monde entier, une débauche de formes et de couleurs…et de gourmandise !
Connu pour ses desserts en forme de pyramides ou de temples grecs, cet étonnant cuisinier, venu de la rue et abandonné dès son plus jeune âge par ses parents, avec pour seule directive, ces mots de son père, « Va bien, il suffit de l’esprit pour en faire [de la réussite] », donne, au tournant du XIXe siècle, une impulsion déterminante à la cuisine. Aujourd’hui, de nombreux cuisiniers modernes s’en réclament encore…
Mais, sous cette profusion de mets, que fait-il de la confiture ? Peut-on imaginer ou réinterpréter les recettes dont Marie-Antoine Carême s’emparent alors, ou est-ce plutôt une simple projection issue de nos esprits de contemporains ?
L’Autre Saison plonge dans les archives et vous fait part de sa version des faits…
Marie-Antoine Carême, héritier de l’Ancien Régime novateur
Enfant mis au travail dès 10 ans comme marmiton chez un aubergiste puis chez un boulanger, Carême avance et devient rapidement apprenti chez un pâtissier parisien nommé Bailly.
Très vite, ses « pièces montées » le conduisent au sommet. Carême dresse ses gâteaux comme des pièces d’architecture, discipline pour laquelle, par ailleurs, il se passionne. Boulimique de savoirs, Carême mange les connaissances comme les mets les plus délicats. Architecte, écrivain, phrénologue et humaniste, il croque la vie, gourmand et curieux de tout, même s’il apprend à lire et à écrire de façon tardive. En autodidacte, il dessine, lit et voyage, l’envie de tout vivre au ventre.
Présent dans les grandes cours européennes, il codifie les recettes traditionnelles qu’il allège. Ses livres se vendent. On a tendance à l’oublier, mais on lui doit des ouvrages qui, de son temps, sont des bestsellers ! Ses livres sont imprimés à 4000 ou 5000 exemplaires et souvent réimprimés.
1805 marque un tournant dans son parcours.
Grâce aux fameux « extraordinaires », ces gâteaux garnis de meringues, de choux et de sucre filé, il parcourt toute l’Europe. Les grands de ce monde le reçoivent, qu’ils soient souverains ou tsars.
Marie-Antoine Carême s’illustre ainsi comme un des premiers cuisiniers à intégrer des influences étrangères à ses recettes, bien qu’il reste lié à la cuisine de l’Ancien Régime. Par exemple, s’il utilise les produits de la chasse, il privilégie les petites pièces comme les faisans, ayant en dégoût les longues cuissons.
Imposant sa vision à toute une corporation, il guide toute une profession sur la voie du respect du produit, en raccourcissant certaines cuissons, allégeant les sauces et réduisant la liste des ingrédients de ces recettes lourdes et, disons-le carrément, parfois indigestes…
Du sucre, du sucre et du sucre !
Avant 1797, et l’appel de Napoléon à cultiver la culture de betteraves sucrières sur les terres françaises, les recettes sucrées sont rares et l’apanage des grands. Le sucre n’est pas monnaie courante ! Benjamin Delessert met au point une usine d’extraction du sucre en 1812, et, de là, démarre la formidable histoire de la confiture.
Marie-Antoine, lui, plébiscite le sucre dans la composition de ses « extraordinaires ». De la meringue, du sucre filé : ces desserts spectaculaires deviennent sa marque de fabrique.
Pourtant, aussi surprenant que cela puisse paraître, la postérité n’a que peu retenu l’attention de Carême portée à la confiture. Pourtant, l’inventeur des petits fours, ces pièces cuitent à l’extinction du four qui profitent de la chaleur résiduelle, propose quelques recettes de confitures dans ses écrits, dont Le pâtissier national parisien, Tome 2, partie 6 « Traité des confitures ».
D’emblée, en introduction de ce chapitre dédié à la confiture, Carême recommande des cuissons « en petite quantité » et regrette que les cuisiniers ne mettent à cuire de trop grosses fournées à la fois, nuisant selon lui aux saveurs de la préparation, laissée trop longtemps dans les bassines en cuivre.
Selon lui, « On doit choisir du sucre d’une belle blancheur, d’un grain brillant et non poreux ». En scientifique, Carême détaille les six cuissons du sucre, « sucre à la plume », « sucre au cassé », « sucre au caramel », « sucre au perlé », « sucre au soufflé » et « sucre au lissé »…avant de livrer quelques recettes de confitures, majoritairement réalisées avec des fruits d’été et d’automne.
La marmelade d’abricots, obtenue avec « de beaux abricots de plein vent », que le cuisinier aura pris soin « de peler légèrement », cuit « sur un fourneau ardent » et est remuée avec une longue spatule en bois. Carême détaille ensuite une deuxième manière de cuire la marmelade d’abricots, la moitié du sucre mélangée aux fruits, avant que la seconde ne soit ajoutée une fois que les morceaux « semblent vouloir prendre la consistance de la marmelade ».
Pour la confiture de cerises, il recommande ainsi de mélanger cerise et « sucre cuit et clarifié au grand lissé » la veille, dans un grand pot en grès, avant d’égoutter la préparation le lendemain avant la cuisson.
Le verjus, préparation obtenue à partir du jus des raisins non consommés, requiert quant à lui des trésors de patience, chaque grain de raisin étant épépiné à la plume ! Si cette dernière recette n’est plus mise à l’honneur dans nos cuisines, sûrement aussi à cause de sa difficile mise en œuvre, les gelées de groseilles roses, violettes ou blanches, nature ou framboisées, sont détaillées avec soin dans son traité.
On trouve aussi des confitures d’épines-vinettes ou encore la gelée de coings, héritière de la pâte de Cotignac…
L’Autre Saison, atelier de confiture artisanales
Finalement, Carême, en gourmand initié, nous a transmis des recettes dont nous nous régalons encore aujourd’hui.
Fidèles aux préceptes de ce grand maître de la pâtisserie, nous travaillons dans notre atelier les fruits en petites quantités (maximum 4 kg) et privilégions la saisonnalité des récoltes, pour obtenir des confitures goûteuses. Les fruits sont ainsi sélectionnés à leur exact point de maturité.
Découvrez ICI notre boutique…et merci Monsieur Carême ! 😊
Source : Marie-Antoine Carême, Le pâtissier national parisien, Tome 2, page 404-417, Gallica.